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En Province
6 juin 2016

Le caractère de l'homme

Faut-il donner à la société humaine le caractère fondamental qui lui appartient constamment, et que son développement quelconque ne saurait jamais altérer. Il faut, à cet effet, considérer d'abord cette énergique prépondérance des facultés affectives sur les facultés intellectuelles, qui, moins prononcée chez l'homme qu'en aucun autre animal, détermine cependant, avec tant d'évidence, la première notion essentielle sur notre véritable nature, aujourd'hui si heureusement représentée, à cet égard, par l'ensemble de la physiologie cérébrale, ainsi que nous l'avons reconnu à la fin du volume précédent. Quoique la continuité d'action constitue certainement, en un genre quelconque, une indispensable condition préalable de succès réel, l'homme cependant, comme tout autre animal, répugne spontanément à une telle persévérance, et ne trouve d'abord un vrai plaisir dans l'exercice de son activité propre qu'autant qu'elle est suffisamment variée: cette diversité importe même, sous ce rapport, davantage que la modération d'intensité, surtout dans les cas les plus ordinaires, où aucun instinct n'est hautement prononcé. Les facultés intellectuelles étant naturellement les moins énergiques, leur activité, pour peu qu'elle se prolonge identiquement à un certain degré, détermine, chez la plupart des hommes, une véritable fatigue, bientôt insupportable: aussi est-ce principalement à leur exercice que s'applique ce dolce far niente, dont tous les âges de la civilisation ont partout reproduit, sous des formes plus ou moins naïves, l'expression universelle et caractéristique. Néanmoins, c'est surtout de l'usage convenablement opiniâtre de ces hautes facultés que doivent évidemment dépendre, pour l'espèce comme pour l'individu, les modifications graduelles de l'existence humaine pendant le cours naturel de notre évolution sociale: en sorte que, par une déplorable coïncidence, l'homme a précisément le plus besoin du genre d'activité auquel il est le moins propre. Les imperfections physiques et les nécessités morales de sa condition lui imposent, plus impérieusement qu'à aucun autre animal, l'indispensable obligation d'employer constamment son intelligence à améliorer sa situation primitive; aussi est-il, à cet effet, le plus intelligent de tous les animaux, en quoi l'on doit, sans doute, reconnaître une certaine harmonie: mais cette harmonie, comme toutes les autres co-relations réelles, est extrêmement imparfaite; puisque l'intelligence de l'homme est fort loin d'être spontanément assez prononcée pour que son exercice un peu soutenu puisse être habituellement supporté sans une irrésistible fatigue, qu'une stimulation énergique et constante peut seule prévenir ou tempérer. Au lieu de déplorer vainement cette insurmontable discordance, nous devons la noter comme un premier document essentiel fourni à la sociologie par la biologie, et qui doit radicalement influer sur le caractère général des sociétés humaines, indépendamment de la puissance évidente que nous reconnaîtrons à une pareille cause, dans la leçon suivante, pour concourir à la détermination fondamentale de la vitesse ou plutôt de la lenteur de notre évolution sociale. Il en résulte immédiatement ici que presque tous les hommes sont, par leur nature, éminemment impropres au travail intellectuel, et voués essentiellement à une activité matérielle: en sorte que l'état spéculatif, de plus en plus indispensable, ne peut être convenablement produit et surtout maintenu chez eux, que d'après une puissante impulsion hétérogène, sans cesse entretenue par des penchans moins élevés mais plus énergiques. Quelle que soit, à cet égard, la haute importance des nombreuses différences individuelles, elles consistent nécessairement en une simple inégalité de degré, comme en tout autre cas, sans que les plus éminentes natures soient jamais vraiment affranchies de cette commune obligation. Sous ce rapport, les hommes peuvent être surtout classés scientifiquement suivant la noblesse ou la spécialité croissantes des facultés affectives par lesquelles est effectivement produite l'excitation intellectuelle. En parcourant l'échelle générale ascendante de cet ensemble de facultés diverses, d'après la lumineuse théorie de Gall, on voit aisément que, chez le plus grand nombre des hommes, la tension intellectuelle n'est habituellement entretenue, comme chez les animaux, sauf quelques rares et courts élans de cette activité purement spéculative qui caractérise toujours le type humain, que par la stimulation grossière mais énergique dérivée des besoins fondamentaux de la vie organique, et des instincts les plus universels de la vie animale, dont les organes appartiennent essentiellement à la partie postérieure du cerveau. La nature individuelle de l'homme devient, en général, d'autant plus éminente, que cette indispensable excitation étrangère résulte de penchans plus élevés, plus particuliers à notre espèce, et dont le siége anatomique réside dans les portions de l'encéphale de plus en plus rapprochées de la partie antéro-supérieure de la région frontale, sans que cependant l'activité purement spontanée de cette noble région soit jamais assez prononcée, même dans les cas les plus exceptionnels, pour n'exiger aucune autre impulsion, au moins jusqu'à ce que l'habitude de la méditation soit devenue convenablement prépondérante, ce qui est d'ailleurs infiniment rare.

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